Frédéric Faye tourne autour de la problématique du corps humain depuis de longues années. Peintre acharné, il revient fréquemment sur d'anciennes toiles en remettant sans cesse son travail en question, généralisant les "repentirs". Dans une palette très réduite qui harmonise les roses, les ocres ou les noirs, il brosse énergiquement des silhouettes dont il ne retient que l’essentiel. Que ce soit à l’aquarelle, à l’huile ou en dessin à l’encre de Chine, il nous fait pénétrer dans l’intimité des corps avec une grande sensualité. Au fil des ans, sa matière devient vibrante et la pensée s’incorpore à la peinture.
Galerie Bër, Cherbourg, Juillet 2012.

Seule importe la présence picturale, quelle que soit la figuration à l'œuvre, proposée ou imposée.
Pour le spectateur s'immergeant au cœur même de l'espace peint, à y voir de plus près, s'ouvre à la vision un parcours labyrinthique faisant apparaître des micro-mondes insoupçonnés à première vue, et dans lesquels on peut se perdre.
Le regard déambule de coulures en griffures, de transparences en opacités, d'âpres raclures en humides fluidités (le sec et le frais, dit Frédéric Faye), de nerveux graphismes en étales surfaces, sans oublier le travail vibrionnant de la couleur.
Taches et traces. Ombres et lumières. Proche et lointain.
Tout y est, dans le questionnement immémorial de la quête picturale. Tout y est, même dans ce qui ne se livre pas au regard, dans ce qui affleure en surface, comme dans ce qu'elle dissimule. Éternelle dialectique du voile et du dévoilement. Sous un paysage, sous une main ouverte, sous un portrait de vache, peut être enseveli un champ de fleurs, un tronc d'arbre, un corps humain ou un visage, perdus à jamais pour le regard du spectateur, mais pas pour l'œuvre en gestation...

Extrait de "Si les fleurs n'étaient que belles" .
Alice Baxter. Février 2016

Frédéric Faye recouvre ainsi parfois d'anciennes peintures dont l'image disparaît pour en faire apparaître une autre, appelée d'urgence. Comme un terreau, comme des sédiments amalgamés les uns au-dessus des autres, la matière picturale, composée de strates nourricières, est habitée de cette mémoire invisible riche de souvenirs enfouis. Une rose engloutie peut hanter souterrainement un ciel marin, ou l'inverse... Un sujet peut en cacher un autre. Comme autant d'apparitions disparaissantes, dirait Jankelevitch.Dans cette jubilatoire éclosion, dans cette luxuriance cosmique, dans cette foisonnante énergie, les éléments peuvent ainsi fusionner les uns dans les autres, air, terre, eau..., végétal, minéral, animal... Un lys peut être peint comme une pierre, et vice versa. Sous un roc, une rose. Dans son essence même d'être peint, tel qu'il se révèle sur la toile, le poisson peut exister dans la fleur de magnolia, la fleur dans le ciel, le ciel dans la vache, la vache dans la main ou dans l'arbre. Tout peut se fondre et se confondre dans l'intimité du secret pictural. Frédéric Faye est un gourmet, un hédoniste de la peinture. Démarche courageuse, intemporelle, qui pourrait être celle d'un contemporain de Monet, dans la même quête de la lumière et de la couleur, le même respect du sujet, la même authenticité, sans la moindre compromission, hors mode, rebelle à toute concession aux courants en vogue en ce début de 21ème siècle.

« Frédéric Faye en immersion végétale » de Philippe Le Barillier.

Frédéric Faye sort de sa tanière de Saint-Maurice en Cotentin pour exposer pendant une semaine à la chapelle de Portbail, à partir du 4 août prochain. L’occasion d’apprécier l’évolution de ce grand peintre de la matière et de la lumière.
Frédéric Faye n’observe pas seulement les poissons, les vaches ou la nature lorsqu’il se plante devant pendant des heures. Il « travaille ». Frédéric ne peint pas seulement quand il peint. Il fait son « travail ». Quand il choisit l’huile plutôt que l’aquarelle ou la gouache c’est parce « qu’il y a plus de nervosité dans l’huile ». Quand il ouvre le couvercle d’un bocal merveilleux de bleu outre-mer, c’est l’odeur d’abord qu’il vous fait admirer. Ses tubes bien gros et bien gras viennent des industriels français hors-pairs, Leroux, Sennelier… Que du beau.
Tout respire chez lui l’énergie de l’artisan en quête du Graal.
Un côté peintre maudit peut-être, lui qui jouit de la faveur de la diaspora artistique parisienne, mais ne parvient pas ou peu à se voir offrir des lieux à son goût pour s’exposer ici.

Sa présence du lundi 4 août au dimanche 10 août à la chapelle Notre-Dame de portail relève du miracle. N’en déplaise à sa modestie maladive, c’est un lieu à la hauteur de son art, offrant des champs visuels et des éclairages intéressants. Et c’est à deux pas de chez lui. Ca le rassure, sans doute, et surtout rend possible sa présence régulière synonyme de contacts précieux avec le public.Les connaisseurs seront surpris. Finis les plongeurs éclaboussants, les poissons morts sur son rouge vif, les vaches déjantées par les traits brutaux de couleur dont on verra quelques exemplaires dans cette exposition.Frédéric Faye a rassemblé tout ce qu’il a appris de la peinture depuis sa naissance. Dans son magnifique jardin, il s’immerge désormais dès la première heure du jour, dans un corps à corps avec son nouveau sujet: la nature. « Je fais des croquis, des dessins rapides, juste pour m’imprégner des lumières, des mouvements naturels des plantes », explique-t-il, « à force de travail, je me sens aujourd’hui capable de m’exprimer à l’atelier de manière instinctive. Ça commence à être intéressant ». 
Sa plus grande angoisse, c’est de ne plus faire du Frédéric Faye. Et c’est vrai que le contraste est saisissant. Ses grandes toiles inondées de lumière, de dégradés de rose somptueux, de bleus cobalts inouïs sourdant sous des pétales de magnolias larges et épanouis, sont des havres de paix, comparées à certaines de ses anciennes œuvres décharnées et solitaires. Mais la matière est toujours là. Le geste aussi. « Ce qui compte pour moi, c’est cette conjonction d’énergies rythmiques », nous lâche-t-il soudainement, en oubliant son aversion pour les grands mots. Tout est dit. Reste à voir sur place.



Eléménts de nature par Zoé Gosset. Galerie Bër. 2013


Frédéric Faye travaille par thème, sans qu’il y ait dans sa démarche préciosité ou anecdotisme. Comprendre intimement son sujet et trouver la forme qui saura lui rendre hommage sur les deux facettes d’une même quête. Aujourd’hui, Frédéric Faye peint des vaches et des cochons. C’est dans la petite ferme située tout près de chez lui, dans le Cotentin, qu’il a trouvé ses modèles, élevés avec soin, en petit nombre. 
Observateur patient, il a saisi dans ce carnet chacun de leurs mouvements et de leur postures. 
Sur la toile se sont pressées les vaches en troupeaux. Pour elles, le peintre explore une palette dense et resserrée de noir, gris, blanc, tissant dans la peinture de multiples chemins sur lesquels il promène inlassablement son regard : il corrige les derniers escarpements, jusqu’à ce que les couleurs et les traits « chantent »

Frédéric Faye s’est penché sur l’enclos des porcs avec une curiosité et une attention infinie. Il a rendu leurs roses et leurs gris, la longueur de leurs corps et la largeur de leurs oreilles, l’équilibre de leur communauté. Il émane de ses représentations une grâce que l’on aurait pas supposée. La naïveté d’une vie animale tranquille, mais aussi ce qui la rapproche d’une vie humaine : une vache couchée parmi ses congénères évoque la nativité, deux cochons reposant côte à côte la tendresse un couple endormi. « Il respire comme nous » remarque Frédéric. Cette proximité vécus entre le peintre et ses modèles, Frédéric Faye nous l’offre dans des grands formats dont le point de vue serré nous invite au sein-même de la communauté animale.

Extraits des entretiens avec Emmanuelle Lemesle.
Catalogue "De l'alchimie avant toute chose"

D'où vient votre inspiration ?

D’un choc visuel. De quelque chose qui me happe, visuellement. Je prends quelques notes, des études, des croquis réalisés dans un musée ou sur le motif. Cela s’est passé ainsi pour la série des Poissons, en 2005. J’étais au marché des pieux, et je vois un poissonnier qui balance ses têtes de poissons dans une caisse en polystyrène, posée sur le trottoir. Là se trouvait aussi des pinces de crabe, du papier sulfurisé, du papier journal… C’était un chaos formidable de couleurs, de rythmes et de matières. J’ai trouvé cela très beau, dans la lumière ocre d’un matin d’hiver. C’était ocre mais aussi rose, blanc transparent et sanguinolent : j’étais devant du Rubens. Je suis allé m’acheter un carnet de brouillon et deux crayons à la librairie d’en face et j’ai demandé l’autorisation de dessiner. Il fallait que je prenne des notes tout de suite sinon j’allais oublier ce que j’avais devant les yeux. Le poissonnier étais surpris que je ne dessine pas son étal bien rangé mais… sa poubelle, par terre. Puis il en a joué en y ajoutant avec le sourire quelques têtes de maquereaux. Cela faisait un moment que je le voulais peindre des poissons : j’aime particulièrement ceux de Braque, de Soutine et La Raie de Chardin. Là, j’avais tout de suite pensé aux chairs de Rubens.

Quelle est l'étape suivante ?
Quand je commence un sujet, j’aime tout de suite passer de mes notes un grand format, le 100 figure (162 cm par 130 cm). Il en a été ainsi pour les Poissons, les Fleurs, les Nuages… Je travaille debout et ce format me convient bien : il est de ma taille, je suis dedans. Je me confronte d’emblée à mon sujet pour voir s’il tient la route : il y a un monde entre ce que je vois sur le motif, mes notes, et mon histoire avec la peinture. Les trois s’entrechoquent dans mon cerveau. Il y a un déplacement sur un déplacement qui s’opère entre mes croquis et la toile, avec une mise en scène et une composition : je traduis en couleurs les sensations que j’ai pu avoir devant un paysage, un sujet. Pour cette série des Poissons, tout est donc parti de cette amalgame de têtes cachées, superposées, de coquillages, des bouts de papier : il y avait du souffle, des passages, du rythme. Je l’ai traduit en peinture avec mon vocabulaire.J’ai dû organiser le chaos présent dans la caisse de polystyrène… Au début d’une série, je suis dans la jouissance de vouloir mettre beaucoup de choses. Plus j’avance dans mon travail, qui peut s’étaler sur plusieurs années, plus j’épure. Ce qui me plaît dans les têtes de poisson, c’est finalement la forme du triangle, ou du cône. Je suis devant une forme géométrique qui me convient bien. La dernière toile de la série en février 2006, représente deux têtes de saumons en quinconce. Cette toile simple et pure, je n’aurais pas pu la peindre dès le départ. C’est sobre au niveau de la couleur. J’ai pris du recul sur ce que j’avais pu voir au marché ce matin là. Je me suis éloigné de l’anecdote pour ne garder qu’une forme pure. D’un sujet, je suis arrivé à un signe.

Extrait de "Si les fleurs n'étaient que belles" .
Alice Baxter. Février 2016

"Cet après-midi, si la lumière est bonne, je vais sur le motif… "
Ainsi, dès qu’il le peut, avec son attirail de peintre, Frédéric Faye va s’immerger en pleine nature pour "prendre des notes", faire des esquisses, à la mine de plomb, au fusain, aux encres, gouaches ou aquarelles. En notes rapides, légères, vibrantes, saisies sur le vif, mais sans lesquelles leur mise en œuvre finale n'existerait pas dans les huiles sur toile. Étape fondamentale, non seulement nécessaire, mais indispensable au travail futur à l’atelier. D’où son importance, et, parfois même, son urgence… Ce faisant, Frédéric Faye plonge son regard dans la chair vives des fleurs, des arbres, des rochers ou des nuages, interroge la vie animale, comme autant d’éléments nourriciers de son œuvre.

Les amateurs d’art Cherbourgeois et les premiers estivants ont eu de la chance, jusqu’à la semaine dernière, d'admirer le résultat pour la première fois dans une galerie de Cherbourg (la galerie Bër, rue du Port) où le fils Gwezennec vend du vin et des toiles. Un choc pour beaucoup. Une réussite aussi pour la galerie. Le plus grand tableau est parti chez un vrai connaisseur. Il représente un corps nu à la baignoire, l’un de ses thèmes les plus aboutis. Un homme de couleur justement, exporté de cette Afrique du Sud où l’artiste a adoré séjourner longuement en 2009. Chez lui, à Saint-Maurice, une autre toile du même genre sèche à peine. Après deux ans de travail, Frédéric Faye vient enfin de trouver le personnage qui manquait pour boucler son œuvre, commencée au retour de Johannesburg voilà deux ans. Trois personnages désormais, dans une salle de bain, une fenêtre qui s’ouvre sur un port, un bateau gris, un sous-marin, et au loin, la montagne désertique inondée de soleil .
"J’aime travailler ce grand format, j’utilise souvent le 100-figure exactement ma taille !"
Avec un peu d’autodérision, Frédéric Faye qui doit mesurer 1,60 m tout mouillé, vient de nous apprendre que le format 100 figure est un terme du métier qui indique un rectangle vertical de 162 cm de haut par 130.

Plongeurs et maillots

Pareils à des piliers, ceux de son inspiration et de sa force, son jardin et la natation sont les serre-livres de son équilibre. Souvent, quand il ne peint pas, quand on ne le trouve pas quelque part les mains dans la terre, Frédéric Faye nage. Les plages du Cotentin ne manquent pas et le comblent. Mais l’hiver, c’est à la piscine qu’il puise dans l’eau son énergie et le repos. Il aime la discipline que lui impose la natation, seul moment où il n’écoute que sa respiration. En nageant, il éloigne ses doutes pour accueillir une réelle liberté, un espace temps propice pour ses pensées. Bien sûr, c’est à la peinture qu’il pense, à celle du jour, de demain.
De la piscine est venu son travail sur les plongeurs. Ce corps auraient pu être nus si le besoin de la couleur dans son œuvre de s’imposait pas systématiquement. Presque automatiquement. Si on regarde l’ensemble des toiles et des papiers de Frédéric Faye, c’est toujours la couleur qui prédomine, supplantée au sujet même, mais jamais à son détriment. Au contraire, il se révèle par elle.

Les plongeurs et maillots de Frédéric Faye .
Olivier Autissier

Aussi, sur ces plongeurs, reconstitution d’un univers aussi familier que nécessaire, le maillot de bain est apparu comme un besoin. La couleur passait par lui. Au fil des plongeons reproduits, l’objet s’est détaché de son support tout en gardant son sens premier. Frédéric parvient avec ses maillots à la juste équation de sa maturité, de ses désirs et de son travail. À travers eux, ils peint désormais, sinon enfin, ce qu’il ressent, ce dont il a envie.Ce qu’il est. À tel point qu’il les a multipliés, sur des papiers d’abord avant de les embarquer sur des grands formats. Ils sont devenus, ensemble et néanmoins chacun, unique, une étonnante collection aux couleurs soutenues. Ainsi, près de trois cents maillots de bain alignés ou juxtaposés tapissent l’atelier. Le recul souligne l’évolution, le dessin de la couleur maîtresse quand on ne pourrait plus qu’y voir une géométrie bariolée, celle de triangles insérés dans des carrés. Les maillots de bain de Frédéric surprennent. Ils reflètent aujourd’hui, à l’apogée de son œuvre, l’expression franche d’années de travail et de réflexion. Cet amalgame controlé de formes et de couleurs est comme le fruit mûr tant attendu de l’arbre. Au-delà d’une carte de visite, sa photo d’identité.

L'atelier

Frédéric Faye, l’un des peintres les plus talentueux de la région, travaille loin de ses pairs dans son petit atelier en pleine campagne à Saint-Maurice en Cotentin.
Il est assis sur un tabouret bas, devant une table trop petite pour sa palette, elle-même pas assez large pour ses pinceaux. Sans cesse, il se lève, corrige une toile située au moins à quatre mètres de lui, le plus loin possible à l’autre bout de ce qui lui sert d’atelier. Il a toujours deux ou trois œuvres en chantier en même temps. Il revient s’asseoir, à l’abri d’un torchon éclaboussé de peinture qui ressemble aujourd’hui à une œuvre d’art.

Article "Dans l’atelier d’un peintre".
Philippe le Barillier . Aout 2011 .


Il peint ainsi chaque matin à l’aube, jusqu’au début de l’après-midi, quand il a épuisé ses couleurs. Il jette alors au sol les restes de peinture, sur des cartons carrés de trente centimètres de large, désormais gorgés d’huile, qui lui serviront plus tard de fonds riches et rugueux pour de nouveaux tableaux. 
Mains torturées de couleurs arc-en-ciel, têtes d’hommes aux regards égarés, poissons qui semblent fricoter avec la mort, maillots de bain dépareillés qu’il alignera neuf par neuf, le long d’un grand mur blanc, comme l’an dernier au musée de la Morinière à Coutances.« J’ai cherché partout un local plus grand, mieux éclairé car j’adore la lumière naturelle. Mon travail serait différent, mais les moindres garage coûte beaucoup trop cher pour quelqu’un dont l’activité principale ne garantit pas des revenus fixes ».Alors, depuis 2006 qu’il s’est installé à Saint-Maurice en Cotentin, Frédéric Faye se contente de ce qu’il a, profitant d’un calme olympien pour travailler sans polluer l’imaginaire au contact de ses pairs parisiens. Il a une baie vitrée qui donne sur un merveilleux jardin. L’horizon est large et multicolore. Il s’alimente de ses voyages. Il se nourrit des toiles de maîtres qu’il décortique sur place, debout dans les musées, avec son crayon au fusain et son incontournable carnet de dessin, noirci de milliers de traits qui s’entrechoquent comme autant d’atomes déboussolés pour donner des mains, des pieds, des visages, tout droit venu de Véronèse, Titien ou Caravage.Il est capable aussi sur un coup de tête d’aller visiter toutes les galeries importantes de Rome ou de Paris. Ses yeux brillent quand il parle de son entretien de 40 secondes avec Jean-Pierre Ruel, son modèle en peinture, qu’il est allé saluer récemment à la capitale, dans un vernissage. Rien que pour partager une même idée de la peinture, celle qu’on ingère au fond de ses tripes. Ces jour-là, au contact des grands dont il n’ose pas dire qu’il fait partie, Frédéric habite alors le plus grand atelier du monde.